LA LITTÉRATURE TOGOLAISE : REGARDS SUR LA DERNIÈRE CRUE
La moisson du champ
littéraire togolais de cette année est riche en poésie, avec plus d’une
demi-douzaine de titres. Toutefois il est plus pertinent de retenir un recueil
de poèmes, un autre recueil de pièces de
théâtre et un essai dialogué pour, d’une part, témoigner de la diversité des
productions, et d’autre part, prouver l’émulation qui caractérise le monde des
belles lettres au Togo. C’est pourquoi Libations de Joseph Kokou KOFFIGOH, Panafricanisme et Renaissance
africaine de Edem KODJO et Balade
Théâtrale d’un collectif de
dramaturges togolais pourraient, chacun en ce qui le concerne, écrire l’une et ou l’autre page des lettres de
noblesse de la littérature togolaise.
Libations ou la
réécriture des mythes fondateurs
En effet la majorité des poèmes de ce quatrième
recueils de J.K.K , Libations qui
confirme son désir de s’affirmer comme le plus prolixe du genre au Togo – soit
un ouvrage par an depuis 2010 et de régulières publications sur Facebook- est une réécriture actualisée des différents
mythes fondateurs des peuples du Togo. Une tentative littéraire de conjuration
du passé que connoterait le titre. Le
poète, en toute liberté, revisite l’imaginaire des Tem, Kabyè, Moba, Ewé,
Mina, qu’il restructure en défiant toutes les interprétations populaires ou
scientifiquement acceptées. Ainsi, Le
Roi AGOKOLI retrouve la noblesse de la sagesse prophétique qui justifierait la
célébration d’Agbogbozan de nos jours, et
YENDU le dieu de Dapaong trouve
sa genèse dans ‘’ les grands bassins du Tchad’’.
Ce faisant, le griot
occupe toute l’amplitude du conteur
à qui l’art sacré impose des élans divinatoires. On comprend donc que le
style de KOFFIGOH soit souvent laudatif
car sa poésie épique divinise par leur geste – gesta en latin- tous les
règnes : animal, végétal et minéral.
Toutefois, le poète, par humanisme, n’abandonne pas son
lecteur au vertige de l’apesanteur
entretenu par son panthéisme. Il lui tend une main afin qu’il redescende
sur terre, car sa poésie est ‘’…le rêve d’un monde/ Immense et en eau
profonde,/Où les mensonges immondes/ Qu’on diffuse sur les ondes,/ Sombrent en
une seconde…’’
Alors, en decrescendo,
l’élan initial des vers se diffuse dans une poésie plus profane, parfois humoristique,
qui culmine à l’épisode de la mésaventure
d’un soldat – ‘’Un char à la plage’’. Seulement le lecteur s’attendait à
trouver un fil conducteur qui relit les poèmes de la première partie,
‘’Exaltation’’ dans la seconde partie, ‘’Rêves et Réalités’’.
En attendant les mémoires de E. KODJO
Puis, vient Edem KODJO avec son long entretien de 150
pages avec Ebénézer L. LAWSON, Léopold A. MAMAVI et Joseph K. YOVODEVI. Il est
vrai que nous attendons toujours ses mémoires, mais Panafricanisme et Renaissance
africaine est une autre forme
de regards rétrospectifs en quatre parties thématiques et chronologiques sur le
parcours d’un engagement panafricaniste.
En fait, les questions-prétextes des trois
journalistes de renom permettent à l’homme politique de faire son bilan
critique du Panafricanisme à partir de ses fondements et de son histoire, tout
en reconnaissant ses espoirs et ses désillusions ; le rôle de
l’Organisation de l’Unité Africaine qui était sensée mettre en œuvre les idéaux
des Pères fondateurs. Comme tout bilan
objectif doit s’inscrire dans une perspective, Edem KODJO,
entre un Afro-pessimisme suicidaire et un Afro-optimisme béat, voudrait
demeurer lucide. C’est pourquoi il
choisit une position dite réaliste qui
l’amène à envisager la conception, pour l’Afrique, des ‘’ Objectifs du
Millénaire pour le Panafricanisme. Seulement, ses soucis du pragmatisme lui
imposent une vision à court terme, compte tenu de l’urgence de l’actualité. Le
Président de la Fondation Pax Africana soutient plutôt les ‘’Objectifs de la Décennie pour
Panafricanisme-ODP-, comme feuille de route qui doit inscrire le continent sur
la voie d’un développement humain, inclusif et durable.
Il est vrai que des
lecteurs qui s’attendraient à des révélations sensationnelles sur les coulisses
du Panafricanisme seront déçus. Mais, l’ouvrage dont la version anglaise vient
de sortir, a le mérite de nous convaincre qu’ ‘’au-dessus des nuages, le ciel
est toujours bleu’’.
Une balade bien méritée
Cette lueur d’espoir nous
autorise à nous divertir par une Balade Théâtrale en six étapes, organisée
par six guides rompus à l’exercice : F. ADEHENOU, J.M. AJAVON, A. DUFEU,
K.D. GALLEY, J. KANTCHEBE et N. M. TINGAYAMA de l’association Escale des
Ecritures nous proposent chacun une courte pièce qui dramatise le conflit entre
deux personnages. Une gageure, si l’on
sait qu’il est très difficile, en fiction littéraire, de condenser le déroulement d’une crise sur 14
pages. Et pourtant, ils ont pleinement respecté la règle définitive du théâtre,
telle que la définissait J. RACINE, qui
est de ‘’ plaire et de séduire’’.
La preuve, aucun
lecteur-spectateur ne peut s’empêcher de prendre partie dans la coexistence
conflictuelle des tandems Flipin/Flamos, Fred/Zila, Elle/Lui, Fall/Prosper… Et
puis, la frontière entre rêve et réalité est si tenue qu’on les confonde
jusqu’à s’impliquer dans les différentes
actions pour camper la fonction d’opposant, d’adjuvant, de régulateur, ou des
trois à la fois. Certes, les
nostalgiques des longues tirades seront certainement frustrés, mais
reconnaissons que l’unanimité est rarissime en Art…
Finalement, si KOFFIGOH
nous renoue avec la tradition, KODJO nous propose des perspectives pour notre
meilleur devenir alors que KANTCHEBE et Consorts nous ramènent aux contradictions de notre vécu quotidien.
Ces différents projets d’écriture se lisent donc dans une linéarité continue
qui justifie que ces trois ouvrages sont disposés les uns à côté des autres sur
l’un des rayons de ma bibliothèque. Je vous convie à faire de même.
Guy Kokou MISSODEY
Professeur de Lettres
Critique Littéraire
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