Le siège de Géant

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Une merveille des monts Kabyè

jeudi 21 mai 2009

Esclaves : le piège de la fiction et de l’histoire avant la porte de non retour !



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Deux nuits durant, j’ai été l’esclave d’Esclaves, le dernier roman de Kangni Alem, paru début mai 2009 aux éditions JC Lattès. Un succulent esclavage porté par une lecture entraînante, interrompue parce que qu’il fallait après tout fermer l’œil et affronter le boulot du lendemain.
La dernière page tournée, il reste dans la mémoire de l’enfant que je n’ai pas cessé d’être – l’enfant en quête d’histoires ou agréables ou horribles ou fantastiques – le souvenir de l’itinéraire d’un personnage qui traverse toute l’histoire : le maître des rituels devenu Miguel, devenu Sule, devenu Sule Djibril. Que d’avatars identitaires !
L’enfant que je n’ai jamais cessé d’être a rangé d’un côté les personnages méchants : Francisco Félix de Souza dit Chacha, son complice Gankpé le chef des armées qui deviendra le roi Guézo, une fois le roi déchu, l’amazone Nansica, la Mamie Ahouna à la « nudité fanée par le temps et les parturitions », et de l’autre les personnages sympathiques, souvent victimes des méchants : le roi et son épouse Sophia qu’on appelle encore Sikadjin, le maître des rituels, devenu Miguel, devenu Sule, devenu Sule Djibril, le vieux Sule à Récife… L’enfant qui n’est pas encore mort en moi, que je berce à mes heures de langueur, s’est souvenu de ce film tiré du roman d’Alex Haley, Roots ; a retrouvé surtout son « cangaçeiro » des jeux de l’enfance qui nous occupaient après chaque film d’action.
Cependant le lecteur cartésien que je suis devenu, analyse. A cause que j’évite que les idées qui me parviennent corrompent mon esprit, je dois procéder par élimination successive et progressive des idées reçues, afin que, enfin de compte, je ne puisse retenir que celles qui, en mon sens et sous l’empire de ma raison, me paraissent inébranlables, inattaquables comme celle si évidente du « je lis, donc je vis », je me résolus à conclure dans Esclaves que les nègres ont contribué dans une large proportion à maintenir et à entretenir ce commerce honteux de chairs d’ébène, mus pour la plupart par des rancœurs tribales, familiales, les chicaneries et l’attrait morbide des bimbeloteries occidentales.
Que ce soit dans la razzia et la vente d’hommes, que ce soit dans les velléités révolutionnaires à Bahia de tous les esclaves, clin d’œil évident au roman Bahia de tous les saints, le nègre a toujours été le malheur du nègre.
Morceau choisi :
« En même temps qu’il pleurait sa condition, l’esclave noir se révélait incapable d’éprouver le besoin d’une solidarité sans faille avec son frère ou sa sœur de race. Il était même prêt à dénoncer à son maître les velléitaires qui voulaient forcer le sort et précipiter la fin de leur servitude, il était prêt à trahir, comme si, au fond, sa condition servile ne lui répugnait pas trop, et que tout compte fait, il préférait de loin l’esclavage au Brésil à sa liberté d’autrefois parmi les gens de sa nation. » (pp 197 -198).
Merci Alem, pour ta dédicace : j’ai lu, et j’ai vu. J’ai vu que :
« Si la traite négrière à saigné l’Afrique, elle a aussi enrichi ses rois. Mais rétorqueront les plus choqués par une telle affirmation, mettre l’enrichissement des rois complices au même niveau que celui des nations d’Europe et d’Amérique, qui elles ont été radicalement transformées par le pillage de la main d’œuvre noire, c’est seulement faire acte de cynisme de petit raconteur d’histoires ! (…). Les plus forts sont toujours à l’origine de la violation des droits naturels et sont les derniers à avoir en eux le sentiment de justice. Celui qui accuse entre sous le feu de la critique, mais seulement voici la vérité : celui qui accuse a déjà connu le feu : al-mit-him ahal an-när !
« Les Noirs d’aujourd’hui eux-mêmes ne s’entendent pas sur le sujet, préférant se chamailler de l’Afrique aux Antilles : que penser d’un tel clivage ? Quant aux Européens, toujours fidèles à leur bassesse, ils entretiennent encore le mythe outrageant de ceux qui n’ont acheté que parce qu’il y avait des vendeurs. Piètre raisonnement.
« L’esclavage est un outrage, un défi lancé à l’humanité, pourquoi tenter de s’en disculper ! Et s’il y avait une justice à rendre, c’est aux victimes qu’il faudrait la rendre, et non pas à leurs bourreaux. » (p 227 – 228).

Et je comprends pourquoi aussi certains Béninois trouvent que Esclaves est un roman subversif et t’attendent pour faire ta fête. Dis quand ce sera ta fête béninoise et je verrai si je pourrai participer à cette orgie littéraire.
Il m’est resté, la dernière page tournée, une interrogation puérile, une question hypocrite : qui est ce Sylvanus Epiphanio Elpidio, fils de Francisco Olympio, qui deviendra premier président du jeune Etat indépendant de TiBrava ? Si ce n’était qu’une fiction, je serais tenté de faire des rapprochements, parce que des Sylvanus, premier président d’un Togo indépendant, on en connaît ! Mais heureusement, Esclaves n’est pas la page manquante de l’histoire de l’esclavage. C’est un roman, donc une fiction. Et c’est le piège dans lequel il ne faudra pas surtout tombé, le piège que tend l’écrivain : histoire ? fiction ? Datation et imagination se côtoient sans frontière pourtant.
Tout le long de ma lecture, j’ai revécu les émotions qui m’envahissent chaque fois en face de la « Porte du non retour » à Ouidah au Bénin. En 2004, j’avais noté dans mon carnet après avoir traversé cet espace hautement symbolique d’une période noire : « Dans quels pas de quels esclaves, venant de quelles contrées d’Afrique est-ce que je mets mes pas ? Quelles larmes séchées sur ce sable silencieux est-ce que j’écrase avec mes chaussures Nike ? Combien ont fait le chemin que je refais, eux le regard perdu vers cette immensité qui allait les engloutir et jamais les vomir, moi, la raison étourdie, dans mes Nike, ignorant tout ce qui s’est véritablement passé sur ce sable infini vers ces eaux immenses infinies » (Août 2004, Carnet « Mon voyage au Bénin »).
Je me demande encore aujourd’hui ce qui s’est passé sur ces plages silencieuses !

4 commentaires:

  1. Salut insomniaque fatigué!
    On peut raisonnablement tenter d'imaginer ce qui s'est passé sur ces plages silencieuses. C'est ce que j'ai tenté de faire dans ce roman. Merci pour ta lecture.

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  2. Quelle pudique, Noel. scène culte du roman, le viol du maître des rituel par Nansica. on accrocherait un tableau à la place que ce serait moins expressif. Quand on finit le passage, une seule chose à l'esprit:
    - Et moi! et moi!

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  3. Felicitations a vous, hommes et femmes des lettres du Togo. En parcourant vos blogs respectifs, on se dit "apres tout mon pays existe". Chapeau a Alem, le jeune etudiant de "Lire est un plaisir" sur Radio Lome. Chapeau a Gerry pour "Parcours de Combattant". Toi tu surprends beaucoup et tu sais pourquoi. Je sais que tu ecriras pour eduquer plus. Je me promets de commander vos romains pour m'en regaler. Chapeau a Mawo Noel dont deja la jeunesse du blog contraste bien avec son contenu. Cela promet beaucoup...

    Par rapport a Esclave d'Alem, je suis simplement fier et heureux d'une chose: Qu'Alem n'ait pas ecrit ce roman dans le but d'allonger la liste des intellos, nombreux, africains qui revent d'une reparation pour cause d'esclavage qui dedommagerait les Africains et non les vraies victimes de l'esclavage que sont les descendants Noirs d'esclaves du Bresil, des USA, des Caraibes etc. Que les Africains cessent de pleurnicher...

    Hey, Alem, Wole Soyinka t'a contamine quoi.... Vous la vous etes dangereux pour le status quo... Ou est passe votre Negritude ???

    On vous a l'oeil

    Joseph Takeli

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  4. Salut Joseph!
    C'est vrai, je me revendique de ce maître là, W.S., lequel m'a appris ceci: "Tous ceux qui ont la passion de la paix, doivent faire un choix." J'ai fait le mien,en toute connaissance de cause, l'Histoire jugera!
    Bonne journée à toi, où que tu sois! Et n'oublie jamais cette leçon d'Aragon: "Les choses vont comme elles vont. De temps en temps, la terre tremble. Le malheur au malheur ressemble.Il est profond, profond, profond."

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